dimanche 7 décembre 2008

Chronique d'un enterrement


Naomi Alderman nous livre dans La désobéissance le portrait haut en couleurs d'une jeune femme de retour dans la communauté juive de Hendon pour l'enterrement de son père. Un premier roman signant l'arrivée d'une nouvelle étoile dans le ciel des lettres anglaises.

 

Plus new-yorkaise que nature, femme d'affaire dynamique et solitaire entretenant une relation adultère avec son patron, Ronit Krushka cache derrière des réparties cinglantes et une forme d'indifférence aux autres une souffrance intérieure que ni l'exil, ni les passages hebdomadaires sur le divan ne sont parvenus à apaiser. Lassée des médisances et des mentalités étriquées de son quartier, des silences pesants d'un père rabbin adulé de ses coreligionnaires orthodoxes mais incapable d'apporter à sa propre fille le moindre réconfort, elle avait choisi quelques années plus tôt de tourner le dos à un destin cousu de fil blanc en s'installant sur les bords de l'Hudson pour y vivre une existence libre et décomplexée. « Difficile à Hendon de se faire une idée du sens de la vie. De s'en faire une idée par soi-même, sans que les autres s'en mêlent. Hendon regorge de gens qui meurent d'envie de vous l'expliquer. New York aussi, sans doute, mais à New York personne ne semble d'accord sur ce qu'est le sens de la vie. A Hendon, celui dans lequel j'ai grandi du moins, tout convergeait, il n'y avait pas moyen de s'en sortir ».

Lorsqu'elle apprend la mort de son père de la bouche de Dovid, son cousin, l'émotion est contenue et les regrets refoulés, comme si son coeur avait depuis longtemps déjà entériné sa disparition. A son retour à Hendon, une personne l'attend, Esti, qui n'a pu oublier leur amour adolescent, leur promesse de ne jamais se quitter, de partir ensemble un jour loin des préjugés et des tabous. Esti, mariée à Dovid sans que Ronit n'ait jamais été mise au courant, est gagnée par une fébrilité dans laquelle elle puisera le courage de divulguer la véritable nature de ses sentiments. Devant les réactions stupéfaites de membres éminents de la communauté, Ronit ne tarde pas à retrouver une effronterie restée légendaire et un sens de la provocation lui valant rapidement d'être exclue des préparatifs du cérémonial d'enterrement. L'immersion dans son milieu d'origine, le respect contraint de ses règles et coutumes, les recoins familiers de la maison de son enfance, la recherche de chandeliers introuvables, l'observance tellement rassurante du rituel du shabbat vont contre toute attente l'amener à se confronter à ses propres souvenirs et l'inciter à affronter une nouvelle fois ses fantômes.

La plume talentueuse de Naomi Alderman alterne dans chaque chapitre commentaires liminaires de la Torah, récit et évocation à la première personne des pensées pleines d'autodérision et d'humour de Ronit. « Chez Esti et Dovid, l'arrivée du shabbat s'accompagna d'un tumulte de petits détails oubliés, de ruées soudaines pour s'assurer que les plaques de cuisson étaient éteintes, ou le four allumé, le samovar branché, le chauffe-plat rangé. [Ils] se chargeaient de tout autour de moi, et me faisaient curieusement penser à des enfants en train de jouer aux adultes en l'absence de leurs parents. Leur savoir-faire avait un charme particulier ; je n'avais plus vu quelqu'un se livrer à cette forme singulière de trouble compulsif et obsessionnel depuis si longtemps ».

La désobéissance est un livre sur la culpabilité et l'absence, sur la difficulté de trouver une rive hospitalière où l'on puisse vivre selon ses désirs, sur un passé envahissant en dépit d'efforts désespérés pour habiller son quotidien de faux-semblants, sur les non-dits familiaux et le poids des conventions sociales. Ses pages rappellent par moments le livre de Gail Parent récemment réédité chez Rivages, Sheila Levine est morte et vit à New York, en le surclassant par sa verve et l'universalité de ses interrogations. « Dieu s'est dissimulé à nos yeux pour nous permettre de voir une partie de Sa lumière, mais pas toute la lumière. (...) Nous sommes à jamais voués à l'incertitude. Nos vies nous offrent des choix, encore des choix, toujours des choix, chacun se multipliant, semant le doute sur notre chemin. Malheureuses créatures! Les plus chanceuses de tous les êtres! Notre triomphe est notre ruine, pouvoir être condamnés c'est pouvoir atteindre la grandeur. Et tout ce que nous avons, en fin de compte, ce sont nos choix ». Ceux de ne plus s'excuser d'être ce que l'on est, de désobéir aux règles quitte à devoir blesser l'entourage, de se réfugier dans les cultes pernicieux et destructeurs de la réussite professionnelle et de l'image au risque d'y perdre un peu de son âme, d'être soi-même en somme. Dans la douleur, comme une condition sine qua non et immuable de notre liberté.

 

Naomi Alderman, La désobéissance, Editions de l'Olivier

 

 

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